Rencontre avec la sociologue Julie Ancian à propos de son enquête.
LE LIVRE
« Comment une mère peut-elle tuer son nouveau-né ? » C’est la question à laquelle cherche à répondre la sociologue Julie Ancian en recueillant les récits de cinq femmes coupables de néonaticide – homicide d’un nouveau-né dans les vingt-quatre heures qui suivent sa naissance. Elle épluche les archives de 75 procès, interroge de nombreux acteurs judiciaires dans une enquête bouleversante. Dans une société qui idéalise la maternité, le geste des ces femmes qualifiées de «monstres» inspire l’horreur et l’incompréhension. Leurs actes sont impensables, inaudibles, incompris. Dans les cours d’assises, le vacarme médiatique s’oppose au silence absolu de ces femmes que l’on n’entend jamais et la «folie maternelle» est bien souvent invoquée comme seule grille de lecture. La sociologue quant à elle, pointe un contexte social fait de précarités, de violences (psychique, physique, symbolique), d’inégalités et de dominations. En d’autres termes : si les homicides de nouveau-nés sont toujours des drames sociaux, ils ne sont pas le fait de monstres. L’enjeu se fait donc politique, car comprendre ces mécanismes permet d’orienter des politiques publiques en faveur de l’autonomie reproductive des femmes et d’une réelle égalité du traitement avec les hommes.
L’AUTEURE
Julia Ancian conduit des recherches sur les inégalités de santé, le genre et les violences. Sociologue, elle a contribué à l’enquête de l’Inserm pour la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique en France. Elle est lauréate du prix de thèse 2018 de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) pour sa recherche sur les meurtres de nouveau-nés.
EXTRAIT
« Parmi les femmes détenues, j’ai choisi de ne m’entretenir qu’avec des femmes déjà jugées. Les prévenues en attente de leur jugement et les femmes ayant fait appel – et donc de nouveau en procédure – ont été exclues pour limiter le risque d’un biais, celui de recueillir une parole influencée par la perspective d’un procès. Les femmes rencontrées ont été entendues lors d’entretiens de deux heures en moyenne, quatre à huit fois chacune. Pouvoir discuter d’un sujet aussi sensible que la genèse du meurtre de son propre enfant nécessite d’avoir établi une relation de confiance, il faut se donner du temps. »
A LIRE
Les violences inaudibles. Récits d’infanticides, Julia Ancian, Editions du Seuil, 2022
Un entretien mené par Florence Hainaut, journaliste free-lance. Extrait lu par Éline Schumacher.